Une journée pas tout à fait comme les autres

En me levant ce matin, seule, dans mon appartement, je ne savais pas que cette journée serait riche en rebondissements divers et variés. Je m'étais empressée de quitter le logement que j'aurais du partager avec Derek, mon époux. Mais voilà deux mois qu'il était dans le coma à la suite d'un accident de voiture. Je n'arrivais pas à comprendre où ma vie sans histoire avait dérapé ainsi. Cinq mois que nous étions mariés et bientôt, les mois de séparation seront plus grand que les mois que nous avions eu en commun. Et les médecins n'étaient même pas surs qu'il se réveillerait un jour. Un vrai drame pour moi. Mais bon, dans un sens, cela aurait pu être pire. Une autre infirmière pourrait s'occuper de mon époux alors que comme j'étais l'infirmière responsable du pôle réanimation, je m'occupais de donner les patients aux autres infirmières. Et croyez moi que personne n'osait me contredire. Parce que j'étais la chef, premier point, mais aussi parce que j'avais un sale caractère et qu'il fallait éviter de me marcher sur les pieds. Une fois au travail, je fis un détour par le vestiaire des infirmières pour me changer avant de prendre mon service. Une fois prête, je montais au troisième étage avant de distribuer les patients aux deux autres infirmières du service. Et je me gardais mon cher Derek. Une fois dans sa chambre, je fermais les stores pour éviter d'être vu de l'extérieur. Un petit moment d'intimité avec mon époux. Je lui fis sa toilette tout en lui parlant de tout et surtout de n'importe quoi. Je lui changeais sa chemise de bloc avant de rouvrir les stores. Le voir dans cette situation me brisait le cœur mais je devais être forte. J'avais la certitude qu'il s'en sortirait et qu'il reviendrait vers moi. Après tout, nous étions des âmes sœurs. Et même séparées, les âmes sœurs se retrouvent toujours.

La pause de midi arriva sans qu'aucun problème ne soit déploré. Alors que j'allais partir en pause repas, le bip caractéristique d'un arrêt cardiaque se fit entendre... Dans la chambre de Derek. Je crus que le monde s'écroulait autour de moi quand l'une des femmes de ménage annonça qu'elle avait juste débranché l'un des appareils qui suivaient le rythme cardiaque de mon époux. Furieuse, je me précipitais sur la femme en hurlant qu'il fallait faire attention. Les médecins me demandèrent de me calmer et les infirmières m'éloignèrent de la chambre pour une pause repas. Sauf que je n'avais absolument plus faim. La peur que je venais d'avoir m'avait coupé l'appétit. Je pris donc la direction du vestiaire des infirmières pour une petite pause réparatrice. Je m'installais sur le banc entre deux rangés de casiers et posais ma tête entre mes mains. J'étais vidée... Je voulais que Derek se réveille aujourd'hui pour ne plus avoir à subir ce genre de frayeurs. Alors que je soupirais, j'entendis la porte s'ouvrir. Redressant la tête, je regardais qui venait d'entrer dans le vestiaire. Il s'agissait de Neela, une amie infirmière mais du pôle oncologie.

« Oh, salut Neela. Comment va? »
   

Une journée pas tout à fait comme les autres

J'avais réellement cru que Derek était mort. Mon cœur avait fait un tour de montagne russe dans ma poitrine avant que la femme ne vienne dire que c'était elle qui avait fait un faux mouvement et avait débranché un appareil de mesure cardiaque. Je m'étais empressé de l'engueuler avant de me faire envoyer bouler par le médecin en garde. Il ne pouvait comprendre ce que j'avais ressenti quand j'avais cru que mon mari était mort. Personne ne savait que j'étais mariée et je n'étais pas prête de prévenir les médecins du pôle de réanimation. Cela signifierait que je ne pourrais plus m'occuper du jeune homme et que je serais obligé de laisser cela à une autre infirmière et cela m'était insupportable à imaginer. N'ayant plus le droit d'entrer dans le pôle réanimation jusqu'à ce que je sois calmé, je profitais de la pause déjeuner pour aller dans le vestiaire des infirmières pour me calmer. Pourquoi ne pas aller manger? Cet épisode m'avait coupé tout mon appétit. Et puis, j'aurais croisé les autres infirmières du pôle réanimation qui n'auraient pas hésité à me poser des questions sur mon éclat de voix. J'étais donc seule, assise sur le banc, la tête entre les mains jusqu'à ce qu'une personne n'entre dans le vestiaire. La personne qui venait d'entrer était Neela, l'infirmière en chef du MGH et du pôle oncologie mais surtout une très bonne amie à moi. Nous nous étions rencontrés lors d'un stage dans un service commun et nous étions devenus amis. Nous avions continué à parler même de retour dans nos centres de formation réciproques et cela avait été de belles retrouvailles quand j'étais venue travailler à Boston. Je saluais donc la jeune femme qui répondit à mon salut avant de me demander ce qui n'allait pas. J'eus une petite moue avant de soupirer. Garder ce secret était pesant et je savais que j'avais besoin de parler de ce qu'il s'était passé quelques minutes plus tôt. Tant pis si Neela était obligé d'en parler à nos supérieurs, je devais vider mon sac à quelqu'un et c'était tant mieux si cette personne était Neela.

« Il y a eu... Un petit problème au pôle réanimation ce matin... Une femme de ménage a débranché sans le vouloir l'appareil de mesure cardiaque d'un des patients. »

Je ne savais pas comment continuer. J'allais attendre qu'elle me pose elle même les questions sinon j'allais finir par fondre en larmes... Et je sentais que, quoi qu'il arrive, j'allais pleurer. Je soufflais légèrement par la bouche. Je sentais la colère poindre à nouveau en moi rien que de me souvenir de ce qu'il c'était passé. Revoir la tête de cette femme de ménage, tout sourire, sortir de la chambre en riant et disant qu'elle avait fait une petite erreur, cela me m'était hors de moi. Elle aurait du faire plus attention. Cet homme avait une famille et il méritait que l'on prenne soin de lui comme un patient et pas comme un objet à dépoussiéré.
   

Une journée pas tout à fait comme les autres

Je ne pensais pas être dangereuse pour les patients et surtout Derek. Au contraire, je pensais que j'étais plus performante que la plupart des autres infirmières. Après tout, je connaissais le patient. Je sais ce que vous allez me dire: il faut garder la distance avec les patients et blablabla... aurai pas supporté qu'une autre femme s'occupe de Derek à ma place. Mais je savais aussi que ce que je faisais était interdit par ma hiérarchie. Mais je savais que Neela pouvait comprendre. Elle était une amie avant d'être ma supérieure. Cette dernière s'était d'ailleurs installée en face de moi, en tailleur sur le banc. Elle était belle et bien en mode. Je lui racontais donc ce qu'il s'était passé avec la femme de ménage et elle me donna raison. Cette femme aurait donc bien du faire attention à ce qu'elle faisait et avoir plus de considération pour les patients. Mais je gardais le silence, ne sachant pas comment continuer.

Neela le comprit et me posa des questions avant de me dire de parler à l'amie et non à la supérieure qu'elle était malgré tout. Mais comment lui avouer que je lui avais caché que j'étais marié? Comment lui dire que je ne lui avais pas fait suffisamment confiance pour lui confier mon secret? Je soupirais en passant mes mains sur mon visage, soudain fatiguée de mentir.

« Ce n'est pas qu'un simple patient... C'est Derek Marshall, le jeune interne en réanimation dont je t'ai parlé... » Je pris une pause pour aller chercher la chaîne qui se trouvait dans mon casier et au bout de laquelle pendait mon alliance. « C'est plus qu'un patient... C'est mon mari. »

Voilà, c'était dit. Neela était la seule au MGH à savoir pour ma relation avec Derek Marshall. Je craignais sa réaction mais je devais avoir confiance en Neela. Elle saurait me conseiller pour rendre cette épreuve supportable.